jeudi 20 mai 2010

La Dérive du Bling-bling

Bling bling all in your face / I think you might need to put on your shades / Blaaah !
"Bling-bling dans ta face, je crois que tu vas avoir besoin de tes lunettes de soleil", s’exclame Missy Elliott, moquant cette obsession à s’exhiber paré de diamants.
“Que le public du fond applaudisse, les premiers rangs peuvent se contenter de secouer leurs bijoux” (“Will the people in the cheaper seats clap your hands ? All the rest of you, if you’ll just rattle your jewelry”). On se souvient de cette réplique de John Lennon devant la Reine et la cour, lors d’un concert de 1963. “Just rattle your jewelry”. Pour l’anecdote, Lennon voulait même dire “(your) fucking jewelry”, mais McCartney l’en a dissuadé. Aujourd’hui, ce n’est plus à la Cour qu’il faudrait balancer la vanne mais à un certain nombre de rappeurs. Mais ça, Lennon ne risquait pas de l’imaginer.

Le bling bling a pris une telle importance qu’une définition s’impose. Lancé à la fin des 90’s sur l’album Chopper City in the Ghetto (1999), par Lil’ Wayne et BG, rappeurs de la Nouvelle-Orléans, (Cash Money Millionaires) le terme bling décrit le “son” de la lumière frappant la surface d’un diamant : bling ! D’où le besoin des lunettes noires pour n’être pas aveuglé par tant de prestige clinquant.

Le bling bling est à ce point rentré dans le langage que le mot a été introduit en 2003 dans le prestigieux Oxford-English Dictionary, non sans déclencher la polémique. Même si une fois encore, on peut noter la créativité verbale du rap, pour certains le mot était idiot, donnant l’impression de sortir de la bouche de quelqu’un avec un QI de 20, illustration de la décadence culturelle de nos sociétés. Pour d’autres, c’est une nouvelle fois la récupération d’un t »erme argotique noir par l’establishment blanc afin d’avoir l’air plus cool et branché.

D’ailleurs, le terme commence à avoir du plomb dans l’aile. Dans un bel élan collectif, Hollywood et le monde du hip-hop US semblent prendre conscience que le clinquant du bling bling a du sang sur les mains. Le film Blood Diamond, avec Leonardo di Caprio, sorti ces dernières semaines sur les écrans français en est une illustration.
Mais c’est des artistes rap eux-mêmes que les critiques se sont développées depuis quelques années. En 2002, la britannique Ms. Dynamite, dont les textes aiguisés avaient pour objectif les prises de conscience du public, chantait sur “It Takes More” : “If its not too complex / Tell me how many African's died For the baguettes on your Rolex?”, expliquant que c’est pas comme ça qu’un mec risquait de l’impresionner, encore moins de la séduire.

Aux US, il fallut attendre 2005 et la prise de conscience de Kanye West, le rappeur multi-awardis é, averti par Q-Tip, l’ancien leader du groupe ATCQ, de la provenance douteuse de certains diamants, les Blood Diamonds, ou Conflict Diamonds.

Good Morning, this ain't Vietnam still
People lose hands, legs, arms for real
Little was known of Sierra Leone
And how it connect to the diamonds we own
(...)
Sierra Leone connect to what we go through today
Over here, its a drug trade, we die from drugs
Over there, they die from what we buy from drugs
The diamonds, the chains, the bracelets, the charmses
I thought my Jesus Piece was so harmless
'til I seen a picture of a shorty armless

(“Diamonds From Sierra Leone”)

Depuis, plusieurs documentaires se sont attachés à montrer les conséquences de ces trafics sur les populations de certain \es régions africaines, en particulier au Sierra Leone où, comme le montrent les films Bling : A Planet Rock, de Raquel Cepada


et Bling : Consequences & Repercussions de Kareem Edouard, avec Chuck D. pour narrateur, visible sur internet, les rebelles du RUF (Revolutionary United Front), ont utilisé le trafic de diamant pour acheter des armes tout en se livrant à des campagnes de massacres et mutilations des populations civiles. Leur signature ignoble consistant à amputer bras, jambes, ou oreilles en réponse à l’appel du président Ahmad Tejan Kabbah, “Join Hands for Peace”. Plus de 20 000 mutilés, sans parler des 50 à 75 000 morts.



Il serait trop facile de ne jeter l’anathème que sur les rappeurs. Tego Calderon, rappeur portoricain, star du reggaeton, participant au projet Bling : a planet rock, témoigne : “je ne demande pas à mes collègues de reti trer leurs bijoux. Ce n’est pas facile, parce qu’on vient d’en bas et qu’on a lutté toute notre vie pour avoir ce qu’on voulait”. (Vibrations, Février 2007)

Paul Wall, rappeur blanc de Houston, Texas, également impliqué dans le projet, confesse : “acheter et porter des bijoux aide à relâcher le stress. Même moi, y’avait des moments où je pouvais à peine payer mes factures d’électricité mais où je trouvais toujours à racler les fonds de tiroir et avoir assez d’argent pour m’acheter un nouveau collier”.

Précisons qu’outre ses talents d’artiste, Paul Wall s’est fait connaître en lançant une ligne de grills. Car le bling bling, ce ne sont pas que des chaînes, des bracelets, des médaillons ou encore des boucles d’oreille. Le grill est devenu un attribut essentiel du bling bling. Pas du style de ceux qui servent à cuire la viande, genre “barbeuq’ à Raymond” (vu sur M6). Une alimen tation carnivore est cependant préconisée car les “grills” en question sont les bijoux dentaires popularisés chez nous par Joey Starr. Les salades vertes sont déconseillées du menu : imaginez combien les petits bouts coincés sur le devant seraient du plus vilain effet. Les grills, finalement les seuls appareils qui mériteraient, au sens propre, le nom de “couronnes” dentaires !






Le séjour au Sierra-Leone de Paul Wall ne l’a en tout cas pas incité à mettre la clé sous la porte, simplement à vérifier la provenance des pierres utilisées dans leur fabrication.

Ainsi peut-on lire sur son site :
Paul Wall and everyone at Grills by Paul Wall abhors the practices used to obtain "blood diamonds". For more information on what actions we are taking, please click here
All grillz are manufactured in Paul Wall’s top of the line workshop in Ho 2uston!
All grillz are top quality, using quality diamonds and custom fit to your mouth!”
Most grillz are priced per tooth so you can get exactly what you want! You can
order from two to eight teeth for a top and two to eight teeth for a bottom
”.

Sa collection compte quelques modèles aux noms évocateurs : Read My Lips, Count Ice-Ula, aux canines proéminentes, Money In Your Mouth, le bien-nommée à 800$ la dent, Word Of Mouth...
Pas de la pacotille à ce tarif !

Le même argument de filières mieux contrôlées est aujourd’hui repris par les joailliers qui se la racontent “chevaliers blancs” et ajoutent : “Ce marché constitue un important pilier économique, notamment pour certains pays en développement d'Afrique. Aujourd'hui, l'industrie diamantifère est l'une des formes d'investissement en Afrique les plus respo ˇnsables et efficace. De nos jours, 99,8 % des diamants sont certifiés par le processus de Kimberley”. Et en profitent pour contre-attaquer, ainsi Beyoncé et J.Lo se sont vues proposer “10 000 dollars chacune, ou plutôt en faveur de l'ONG de leur choix en Afrique, en échange du fait de porter ostensiblement des diamants lors de la soirée des Golden Globes. Une ligne de joaillerie équitable a même été lancée” (Libé 3/2)...

N’y aurait-il que les diamants pour briller en société ? Et s’il y avait d’autre bling que celui-là. Rappelons-nous ce que nous disait Carlinhos Brown il y a quelques années :
“La sueur exprime la sincérité de l’homme de scène. La sueur retire le maquillage. Hollywood nous a appris à nous maquiller mais je ne crois pas que la personne maquillée soit plus belle. Car l’homme atteint sa plénitude avec la sueur. La sueur donne la lumière. Quand l’homme sue, il brille”.
Imaginons donc cette nouvelle définition du bling : “son” de la lumière frappant la surface d’une goutte de sueur : bling !

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